À première vue, l’Amazonie est à la hauteur de ses mythes et se présente telle qu’on se l’imagine : paysages à couper le souffle, eaux poissonneuses, moustiques à profusion, mais surtout et avant tout, tranquillité et sérénité. Il faut vivre la véritable expérience au sein de cette immensité sauvage pour en découvrir toutes ses subtilités, pour l’apprivoiser et pour vraiment l'apprécier.

Après deux vols intérieurs, qui ont semblé durés une éternité, accompagné d'une fatigue qui endormirait n'importe quel insomniaque, nous sommes finalement arrivés à Manaus au Brésil, capitale de l’Amazonie. Nous étions à peine sortis de l’avion que l'humidité ne s'est pas fait prier pour faire friser mes cheveux. Notre guide pour une semaine nous attendait au tourniquet à bagages, un carton à la main sur lequel apparaissaient nos deux noms. Teint foncé, cheveux courts frisés, sourire étincelant, notre guide avait une fière allure du haut de ses plus ou moins cinq pieds cinq. Il s’appelait Cleminton.

Nous avons compris rapidement que Cleminton est un vrai Brésilien, un gars élevé à la dure qui n’a pas froid aux yeux. Il peut vous construire un palais en pleine jungle à coups de machette les yeux fermés, en vous chantant un vieux classique de Jordie en même temps qu'il se roule des cigarettes artisanales. Il est le genre de personnage qui ignore encore ce qu’est Facebook et qui soigne un mal de tête avec une gorgée d'alcool mal frelaté plutôt qu'avec des Tylenols. Pour des raisons obscures, il parlait très bien l’anglais en plus de maîtriser un français juste et précis, ce qui est plutôt inhabituel pour un homme de la rivière qui n’a jamais mis un pied dans une école de sa vie. Les gens qui le côtoient disent de lui qu’il est brillant, ils n’ont pas tort.

Après de brèves présentations, nous sommes embarqués avec Cleminton dans un véhicule pour le départ de notre excursion d’une semaine dans la jungle. Aussitôt assis dans le véhicule que notre guide s'est empressé de nous présenter l’horaire de la semaine, ce qui n’a pas tardé de nous sortir de notre torpeur. Notre séjour dans ce coin reculé du continent s’annonçait pour être des plus excitantes et captivantes, il n’y avait aucun doute là-dessus. La question était plutôt à savoir si nous aurions le cran, la force de caractère pour dépasser nos limites.

Au départ, lorsqu’on a choisi cette destination, on ne s’était pas posé trop de questions. L’Amazonie nous semblait un incontournable du Brésil, comme la tour Eiffel pour la France. La différence c’est que tu ne vas pas en Amazonie pour un simple coup d’œil, ou pour deux-trois photos qui se retrouveront sur ton Instagram. Tu vas en Amazonie pour la vivre. Tant qu’à te rendre jusque là-bas, parce que Dieu-seul-sait à quel point ce n’est pas si simple de s’y rendre, tu te dois d’essayer la vraie expérience amazonienne, celle qui te fait suer, celle qui te fait stresser, celle qui te fait découvrir un nouveau monde.

Cette expérience-là ne se vit pas dans un tout inclus aux abords d’un des nombreux affluents à la rivière qui donne le nom à cette fameuse région du monde. Les vrais trésors de cette contrée perdue se trouvent au fond de la jungle, entre les palmiers, les mouches et les caïmans.

Notre périple nous réservait exactement cela, une véritable aventure hors des sentiers battus, sans même qu’on aille trop pensé à notre affaire. En fait, la réalité c’est que nous avions réservé l’excursion privée la moins chère de toute l’agence pour des raisons clairement et purement monétaires. Ceci signifiait que nous avions accepté, plus ou moins sciemment, de dormir trois nuits à la belle étoile dans la jungle intarissable. Notre excursion se nommait « l’expédition survie », ce qui en dit plutôt long sur la chose. Avec du recul, c’était clairement un plan de fous.

Après un trajet en mini-fourgonnette, suivi d’un déplacement en « speed boat », d’un autre long parcours en vieux Westfalia qui tombait en décrépitude en plus de vous assurer un mal de dos en règle et un dernier transfert en bateau, nous sommes finalement arrivés à notre destination : en plein cœur de nulle part, ou au centre de l’univers, je ne sais plus. Dans tous les cas, nous étions dans la jungle, loin de la civilisation, des signaux cellulaires et du monde civilisé.




D’instinct on a envie d’être détendu en pareil endroit, y être stressé serait mal élevé. Un vent de sérénité m’a frappée de plein fouet, sans crier gare. J’ai perdu au même instant cette boule d’anxiété qui nous ronge tous les jours que notre réveil matin a sa raison d’exister. Cette même boule qui vous donne n’importe quelles excuses pour vous ronger les ongles au sang, sans même connaître l’origine de ce stress. L’air était bon, il était pur. Les paysages étaient exquis, nous étions conquis.

L’électricité se rendait au « lodge », où nous passions la première nuit avant notre grand départ pour les contrées sauvages et les nuits à la belle étoile. Le lendemain nous avons quitté notre lit douillet du « lodge » pour la véritable expérience. Avec un cinq gallons d’eau potable, un poulet fraîchement tué pour la route et quelques épices, nous sommes partis en bateau vers l’inconnu. Nous avions suffisamment de nourriture pour un seul repas, soit le dîner. Il était donc primordial que nous pêchions cet après-midi-là, après avoir monté le campement.

Après plus de deux heures à nous promener en bateau au travers des chenaux, Cleminton, notre guide, et le chauffeur du bateau, Énatu, ont trouvé un endroit acceptable pour monter le campement. Il faut savoir que dans la jungle, tous les endroits ne sont pas idéals pour passer la nuit. La présence de palmiers géants à proximité est essentielle pour la construction d’une installation qui vous tiendra au sec, du moins on l’espère.

Aussitôt débarqué que nous avons commencé à construire le campement. Cleminton nous a mis en charge de couper des feuilles de palmiers avec une machette, ce qui ne fût pas une mince affaire. L’affaire c’est que, lorsque tu t’embarques dans un tel voyage, tu ne réalises pas toujours l’ampleur du projet jusqu’à ce que tu y sois confronté. Il peut parfois arriver que tu oublies certains détails d’importance considérable, notamment le facteur température. Le problème avec la chaleur en Amazonie c’est qu’elle te donne l’impression que tu peux t’évanouir à tout moment. Le simple fait de respirer te demande un effort considérable. L’air, gorgé à pratiquement 100% d’humidité, est tout simplement suffocant. Ajoutez-y du soleil dans un ciel azur et vous aurez la recette gagnante pour une insolation en règle. En langage clair, les conditions climatiques étaient semblables à celles observées dans un sauna à l’eucalyptus. Il faut l’essayer pour comprendre que l’inactivité physique est la seule et unique stratégie possible à adopter dans les deux cas.

Malheureusement pour nous, cette stratégie était impossible à adopter à ce moment-là. Nous devions participer à la construction du campement, même si cela signifiait d'y laisser notre peau. Cleminton et Énatu aussi avaient chaud, leur front perlé le démontrait clairement, mais ils géraient beaucoup mieux que nous cette température accablante. Avec tout notre orgueil, plusieurs litres d’eau consommés et des vêtements prêts à être brûlés tellement nous avions sué, nous avons réussi à couper une quarantaine de feuilles en plus de les rapatrier. Après quelques heures qui ont paru beaucoup trop longues à notre goût, le campement était monté. Il ressemblait à une cathédrale végétale, atteignant près de quatre mètres dans son plus haut sommet. Nos hamacs y étaient bien installés au sec, avec leur moustiquaire, prêts à nous accueillir. Il ne restait plus qu’à aller pêcher notre souper.

Cette après-midi-là, nous avons installé plusieurs filets, dans des criques, au travers des arbres inondés. Entre-temps, nous nous sommes baignés dans la rivière. L’eau était tout simplement délicieuse après tout ce travail et cette chaleur et pas un moment j’ai songé que des piranhas devaient me voir gigoter.

Juste avant le coucher du soleil, nous sommes retournés à nos filets. La pêche avait été si fructueuse que nous avons dû fumer et saler plusieurs spécimens pour les conserver pour les repas futurs. Il y en avait de toutes les sortes. Nous avons même pêché des piranhas avec de la viande fraîche. À voir leur dentition bien garnie, je pouvais comprendre que certains guides en Amazonie aient pu perdre des morceaux de doigts.

Énatu a préparé les poissons pour le repas du soir. Le souper fut rapide, mais intense, étant donné l’état de fatigue généralisé. Peu de mots y ont été échangés. Bien que j’aie pu angoisser pendant des semaines, voire des mois, sur cette première nuit dans la jungle, je ne me suis pas fait prier pour rejoindre mon hamac et m’y glisser. Je suis tombée dans un sommeil lourd et profond. Même la peur des mygales et des jaguars n’a pu m’empêcher de rejoindre Morphée cette nuit-là. Le lendemain matin, je me suis fait réveiller par le cri des singes hurleurs. Je me suis dit que c'était ça, la vraie aventure.



Valérie est une fille dynamique qui aime relever de nouveaux défis. Avec plus de 35 différents pays visités derrière la cravate, voyager n’est pas qu’une simple passion pour elle, c’est un mode de vie. Nouvellement maman, elle veut continuer à parcourir le monde avec sa nouvelle raison de vivre.